Au centre du paysage

Trois heures

Quelque chose se prépare.
Les corps remuent. Des blocs d'ombres
émergent, se mettent à luire."
(J.Ancet)

Ce qui se creuse dans le silence d'un paysage... personne n'en sait rien.

Il est à noter que la nuit et le jour ne sont jamais réunis.
Parfois peut-être à l'aube. Rien à en redire.
Quant à la lune, elle n'a pas d'aube : d'un coup dans le ciel après quelques bousculades avec les étoiles. Mais tout cela ne fait pas de bruit.
Après c'est encore l'ombre. Plus tard c'est encore la lumière.

Ce matin donc juste avant l'aube, une voix couvre tout de sa profonde vibration jusqu'au secret ultime de ce qui arrive et se distend. Dans le paysage, la voix décrit ce qui va en son centre, lieu autrement inaccessible, et si sourd : quel paysage, dis ? Quel paysage ?

De ce qui arrive, comme un bruit trop enfoui, n'est ni une suite géométrique, ni un entier de lumière et d'ombre, encore moins une incidence du jour. Il vient d'un fond insolent, étrangement attracteur, d'au-delà ou d'en deçà de ce qui est
silence. Faut-il entendre une histoire d'amour ? Un récit de la nature ? Un jeu d'enfant ?

A quel moment peut-on dire que commence à apparaître le centre d'un paysage ?
Lorsqu'il vient, s'installe face aux falaises, surplombe la mer, pousse des lignes, s'entoure de sons, et pénètre d'un coup les couleurs, l'espace et la lumière avec une telle pression qu'il va jusqu'à leur exténuation. Même si c'est la nuit. Même si un pont cache à demi une ville sous l'ouragan. Même si aucune colonne ne comblera jamais les bois ! Toujours à l'horizon, en attente, une tour.
Alors brusquement un dessin est une machine à souffle. Et peindre devient le monde.

Reste une voix dont la douceur, inaltérable malgré les orages. Peut-être représente-t-elle même ce qui n'a jamais autant désigner le goût de vivre, quand l'origine est le résultat, quand la lumière est enfin sans le miroir, quand tu ouvre le paysage nu face à toi. Rappelle-toi ce tableau "La Tempête" de Giogione (Venise,1530). Tu en deviens le centre.

Quelle est la raison d'un tel paysage ? Autre défi avec ce qui circule dans l'air et entre les arbres.Les rues sont encombrées d'une lumière aveuglante. On entend les passages comme des parages, peut-être pour aller ailleurs. Echapper à la folie ! Qui sait ? Jusqu'à ce qu'enfin, un instant, être soi-même.

La raison d'un paysage n'a rien à voir avec un effondrement ou une surrection. Elle est plus terrible qu'un séisme ou qu'une pensée insistante qui se dresse. Elle est inexorable et surgit dans la nature, sans commune mesure avec la raison commune. La rivière emporte le ciel.

Un paysage, c'est de la nature si concentrée que tout ce qui le touche, le frappe ou l'écrase, se dirige en son centre pour le faire enfin émerger.

C'est dans cet instant que quelque chose se prépare, dit-il. Mais personne n'en sait rien.

J-A. Murat (Mars 2011)