Ni la mer, ni la terre, ni le ciel lumineux,

ni la race des mortels, ni les corps sacrés des dieux

ne pourraient subsister un seul instant,

car la matière arrachée à sa cohésion

irait se dissoudre à travers le grand vide,

ou plutôt jamais elle n’eût formé de créature

ne pouvant revenir de son éparpillement.

(Lucrèce, De rerum natura )

De la couleur et de l’inconnu                                                                                                                           

           

De la peinture, ce qui est insaisissable, jusqu’à l’obscur…

Qui en parle ?

Se taire autrement ! Peut-être !

Puis une trace et la couleur s’affirment simplement, là, montant d’un coup, immense machination intérieure, et si secrète. Parfois on les devine parmi de vagues traînées le plus souvent inaccessibles, en tout cas vues d’ici, pour le moment… machination qui passe ailleurs. C’est bien là l’interrogation, ce cheminement vers l’inconnu. Où ? Quel cheminement ?

Et s’obstiner autant qu’on le peut dans cette désadjectivation des formes. Ne rien céder. Jusqu’à ce point, où peindre devient subversif, intempestif, inactuel ! Sentir autrement ce qui va… sans crainte !

 

Puis il y a ceux qui n’osent pas, et qui réussissent. Après tout, ils l’ont voulu… afin d’être tout à fait dans l’ordre des choses !

Ainsi est rassurant un tel instant, immuable, quelconque. Avec cette tasse de café sur une table de marbre, près d’un journal étalé… Il a fait doux ce printemps… mais l’été a été si brûlant, incendié… Reste ce regard satisfait. Suffisant. Oh matins infernaux des dérives urbaines !

 

Au choix, des couleurs, une à une disséquée, exposent leur opacité. Quelque chose d’insensé s’accentue lentement, à la fois rouge et vert, ce qu’a tenté Van Gogh… ce qu’aucun peintre ne tente plus, parce que le choix est trop irréel, disons-le, impossible. Et pourtant !

Rien, peut être vu comme une couleur ! Et là, un rouge n’est pas rouge mais dans ce moment il est plus que vert ! voire plus que noir ! Qui sait ? Puis s’obscurcir encore. Et rien, passe ! Rien, est. Silence.

 

A cet instant justement, se pose la question sur une des fonctions de l’art et en particulier la fonction des formes (couleurs, masses, traces, jusqu’aux gestes, figures, récits, « légendes » avec leurs conséquences ou leurs inconséquences…).

Souvent les figures et les récits sont trop circonstanciés à des idéologies et à des croyances, et par-là très contingents aux modes sensibles et intellectuelles dominant l’époque. C’est logique au fond ! Et en art, c’est peut-être nécessaire ! On s’interroge. Picasso et Duchamp sont de leur temps !

Des époques ont essayé de trouver de nouvelles idéologies et croyances (cf. le XIX è, le XX è siècles et à suivre) sans forcément trouver un équilibre, entre nature et culture, économie et politique, et bien d’autres ! L’inconnu est-il équilibre ? Et les formes ?

 

L’art actuel a épuisé le lien entre, par exemple, peinture et créer, en ne posant pas la question de l’inconnu à travers des formes.  Et là, tout est art ou rien, est art… sinon farces !

Bien que des couleurs incertaines, consumées même, liées avec de nouvelles figures et de nouveaux récits, n’ont à ce jour aucune incidence avec l’inconnu, et n’embraient pas sur l’expérimentation d’un devenir. Elles n’approchent vraiment en rien de l’inconnu. Au mieux des formes qu’un jeu.

 

Pour l’heure, en rester aux couleurs, masses, traces et gestes… et s’occuper des énergies et des forces parmi lesquelles commencent à apparaitre justement les transformations de formes les conduisant à leur autonomie. Voilà qui risque de gêner, l’autonomie. Avec un autre corps certes !

 

Encore une réflexion à propos de la couleur. Dans l’époque actuelle, elle est le résultat d’une sorte de sensation pas totalement aboutie. D’une sensation facile, voire habile, et sans fond : un geste et une couleur. Ou d’un fond très convenu. Tout est dit… senti, évidemment… comme un décor. Du design. Une sorte d’esthétique instinctive. Pourquoi pas !

Sans fond… Quel fond ? … Que faire ? Tenter un essai de perforation d’une pensée autre du monde… ?  Accessoirement faire l’essai d’une idéologie et d’un autre mode de vie… ? Et vous iriez jusque-là ? Oui, jusque-là ! Pour sortir du nihilisme contemporain. Pour créer !... Et non jouer. D’un jeu formel et idéologique, qui reflète l’état d’un effondrement. On en est là en art ! Quant aucune solution pour vivre n’existe ! L’art alors est comme un palliatif ?

 

Créer est autre chose qui peut être un rassemblement des mémoires, des imaginations, et des temporalités. (sur ces deux derniers points, voir le site www.jmuratpeinture.fr, le chapitre 10, § Essai). Même un rythme, mais tellement autre. Une âme face à l’inconnu ? Et ça… ! Ils peuvent toujours venir…

 

Un rassemblement hétéroclite comme un corps sans organes, n’est pas une synthèse ! Sinon vous n’aborderez jamais l’inconnu… La distance est close. Le corps sans organes se désolidarise du temps et de sa périodicité.

Puis encore s’affirme qu’il n’y a vraiment aucune solution à vivre. Sans cesse la nécessité d’inventer un chemin ? Ce qui nous reste ! Ne rien attendre et se contenter de créer… Où est encore cette force de plus d’humains qui sont dans le quotidien toujours recommencé ? Une vie comme un éternel retour !

Ce rassemblement apparaît inouïe ! Il est évident que l’inconnu n’est pas programmable !

 

Effectivement, une forme au hasard peut être source d’une forme-sensation, d’une combinaison entre matière et imaginaire. Je vois une pierre. Ou je fais un gribouillis. J’ai un tas d’ordures sur la table… et la table est si grande !

La beauté n’est accessible que par une civilisation. Sinon elle est relative et échappe à l’individu. Comme "propagande", elle devient insolente. Couvre les murs. Et pourtant "La beauté sauvera le monde" (Dostoïevski, L’idiot). De quelle beauté parle-t-on ? Tout est si relatif. Le vide est dissuasif.

« Je ne sais plus rien ! » dit le passant exténué par les écrans.

 

Au-delà, je fais des combinaisons avec la sensation et une perception attentive et alternative, je peux en tirer un effet agréable, décoratif. Un plaisir !

La beauté d’une affiche politique est strictement dans l‘instant de la propagande.

Alors pour s’en sortir, il s’agit d’anticiper un devenir, de se confronter à l‘inconnu, pour fracturer les ordres en place. Le peintre est à peindre ou à pendre ? Vitesse d’exécution !... Très très brève !

Et vous allez parler d’autonomie des formes… d’énergies des couleurs, de temporalités multiples… de désadjectivation comme fin d’une esthétique... et que sais-je ? Pour pas grand-chose ! 

 

L’esthétique qu’on rencontre dans la société actuelle, est un mouvement du corps qui vient parfois d’une aisance du métier, comme instinctive, et qui domine en peinture. Tout est à revoir ! Ou à défaire définitivement

A partir du moment où chacun (ou le groupe) a appris que l’art est une combinaison de formes, chacun a pu ainsi développer cette activité, à loisir. Ce peut être une bonne chose. Il arrive que des réalisations soient inspirées prenant des aspects poétiques. Elles montrent parfois une habileté… dans un ordre convenu : économique et industriel ! Détestable… ce que disent certains ! Où est la vérité du moment ?

On est dans l’accessoire de la société actuelle. L’art n’est plus qu’un décor, que l’émotion d’un instant. Rien, reprend les tentatives d’un devenir. Un grand creux. L’humain ne voit plus la nécessité de vivre. Il nie l’art. Le changement actuel qu’on voudrait optimiste, est en train de s’abîmer dans un « effondrement », non de celui qui serait la conséquence d’un passé, encore présent aujourd’hui, et dépasser pour une bonne part, mais qui s’essaierait donc, en tant que passé, de se transformer en un devenir humain positif sachant que ce devenir n’est pas un avenir.

En effet ce changement s’ouvre sur un avenir presque uniquement matériel. Mais celui-ci est sans raison. Sinon une raison raisonnante. Et le système est entravé. Il est déceptif parce que devenu vain.

Un devenir est une vision de l’humain, dans une raison en quête d’elle-même. Elisée Reclus proposait : « L’humain est la nature prenant conscience d’elle-même » (L’homme et la terre, 1905). Kubrick envisage la même chose dans son film : « 2001, l’Odyssée de l’espace ».

Dans le système de culture, aujourd’hui, le passé devient un luna-park pour touristes (cf. les pyramides d’Egypte, Cuzco, des ruines, des châteaux, des lieux de cultes, des musées, des expositions multiples…), et non une culture qui, de fait, demande un différé, une distance et non un acquiescement facile. Une mémoire… des comparaisons et des relations diverses. Une curiosité attentive faite d’écoute.

Allons un peu plus loin. L’œuvre et son esthétique, peut être aussi idéologique et politique. Elle convient au plus grand nombre. Jusqu’à être à la mode autant des happy few que des critiques.

Mais elle va s’épuiser à un moment donné. Parce que sans fond. Trop immédiate. Très vite accessible. Le regard est saturé. Plonge dans le vide… La raison de l’art échappe. On a changé de politique, d’organisation sociale. Ce mouvement s’écrase sur l’incertain. Reste la cupidité ! Drôle de situation !

Et la question de l’éthique ?... Alors ça !

 

Quand parlera-t-on d’un équilibre entre, nature et culture, entre spiritualité et matérialité, entre économie et politique, entre les nouveaux outils et l’humain, et bien d’autres. Un équilibre… comme sur une arrête vertigineuse ! Comme la vie elle-même…

Et qui osera parler d’une raison en quête d’elle-même ?

Avec l’inconnu on touche à quelque chose d’essentiel. Mais quoi ? Ce peut être sans importance pour beaucoup… Pas pour l’art quand il va à son sommet.

L’art expérimente cette question de l’éthique au regard des nouveaux outils. C’est peut-être sa véritable fonction.

 

Dans l’art actuel, quand l’art est dit « contemporain », avec les dispositifs, l’in-situ et autres performances, au fond, à sa façon, il suit une sorte d’esthétique instinctive et réductrice, mais en la mêlant à une idéologie souvent socio-économico-culturelle et historique, enrichissant son propos. Pour essayer une autre éthique… ? Peut-être !  Mais quelle dérive.

Et aussi en associant cette esthétique à un autre registre plus destructeur, plus subversif, fonctionnant à la fois avec le déceptif et l’événementiel, deux objectifs différents des aspects de cette sensation immédiate.

On s’en sert comme un moyen pour un objet ou pour une trace, d’être art. En se permettant de transgresser de nombreux domaines, sans rien proposer de positif. Mais en sollicitant le nauséeux ou l’extrême sophistication ! Comme esthétique… ? Pour rompre avec toute éthique !  

On en arrive à une critique généralisée et facile. Sorte de réponse à une mauvaise question sur une civilisation qui a perdu son but. Mais c’est si bien fait et si bien construite qu’on peut s’y accorder aisément ! La biologie et le transhumanisme :  allez-vous dire non lors d’une maladie ? Où est le morbide ?

Et ces gestes en art, vont jusqu’au rejet des formes affirmant la vie comme une victoire provisoire sur la mort... une victoire très provisoire… adieu Dionysos.

Qui va vivre avec la pollution généralisée ? Là, il va falloir se battre. Le morbide domine partout. L’art peut le renverser. La question de la beauté et de l’humain… face aux désastres contemporains que reflète tant l’art actuel… la beauté, cet inaccessible… ou alors trop humaine !   

 

Après un rejet partiel de la couleur, ou parfois, à son intrusion excessive, le peintre arrive à un travail très consensuel avec le cadre social. Cadre social de plus en plus uniforme… avec un faux universalisme sinon économique. Au fond il détruit les quelques ambitions. Trop de prudence… La couleur, une sorte de sensation achevée ? Mille peintres sont vraiment prudents aujourd’hui ! Ah ! Même un million !  Trop prudents malgré leur rage ! Y’a plus d’peintres ! … C’est fini ! dit-il. Qu’en savez-vous ? répondit-elle. 

Vous ne pouvez pas savoir. De toute façon vous n’en saurez jamais rien. L’époque l’impose.  Oui, avec si peu de mouvements profonds qui réinscriraient d’un coup, un geste et un monde. Trop se taisent. Oh ! on peint, on arrange, on installe… et aussi très intégré au cadre ! Plutôt habile tout ça !... Mais quelle défaite ! On n’entend plus l’univers.

Reste un geste inventé dans l’instant. Intégrant d’un coup aussi une figure… Mais aucun débordement. Même dans ce registre. Pas l’ombre d’une folie. D’une folie extravagante pour le public ! Encore moins d’un effondrement. On reste les pieds sur terre. Et c’est bien là le pire des effondrements. C’est curieux ! Cela aurait pu se produire ! Non ? Qu’un geste juste ! Même pas ! On ne sait plus… Corps panique.

 

La question du corps comme capacité à envisager une autre éthique… émergeant insolite insolente. Peut-être fait-elle surgir une autre esthétique à sa suite ? C’est à voir !

 

Aucun débordement donc, comme une conséquence, car le résultat est déjà dans la première trace et dans la première masse colorée. Que le peintre n’ose plus rompre, craignant de se perdre.

Pour certains ils vont ailleurs sans trop savoir. Sans trop sentir cette autre perception-sensation/question…

De là, on peint comme il y a mille ans ! A factures différentes ! Evidemment ! Ou tellement exténué par mille images. N’ont pas compris, absents à l’univers, qu’il fallait aller ailleurs, sortir de l’image, et autrement que par la forme !

Dans le moment de ce geste. Oui ! Là ! Ou alors un débordement infini d’un coup. Inouï parce que juste… et si rare. Au-delà de tout ! Avec tous les risques…

Pas n’importe quel débordement. Celui qui ouvre un mur et dit l’humain face à l’univers, et à la fois lui-même, l’univers. Et qui finit par arracher le spectateur à sa pesanteur et le porter un instant à sa grâce… cela arrive !

« La couleur est le lieu où notre cerveau et l’univers se rencontrent. » (Cézanne, Gasquet, Cynara, 1921)

 

Apparemment on n’a pas le temps de déborder. Qui a le temps, aujourd’hui ?

C’est trop profond. Pourtant déborder c’est aussi être ailleurs… je n’en finirai jamais… devant un désert vide… le temps échappe…

Quant au regardeur il est bien trop installé. Il est tellement choyé… aucune solitude… pas abandonné dans son désert. Une barrière de propos le protège d’un sursaut de soi… de l’inconnu ? « De quoi parle-t-on ? » Il a posé cette question et la suivante :

« - C’est quoi l’inconnu ?

   - Pas grand-chose ! répond l’autre ! »

 

Accentuer la couleur jusque dans ses derniers retranchements… Cézanne avait tout compris comme Artaud… sans se perdre… malgré des corps sans organes ! Rien d’une technique, plus qu’un état.

Il faut parfois, aller jusqu’au style grotesque qui, poussé le plus loin possible, peut devenir irregardable. Mais là, je l’ai retenu sans qu’il ne soit définitivement irregardable. Il est en place dans « L’effondrement ». Au fond, bien contrôlé… c’est presque classique !

L’approche de l’inconnu est vertigineuse. Au point de se taire. La couleur a cédé sous cet assaut ! Et brûle. Se consume. 

Là où la psychanalyse se "tait", le grotesque le fait !

L’ensemble malgré tout reste sans excès !  

 

Je parle de peindre. Peindre ce n’est pas cela, ce n’est pas décorer, ce n’est pas se contenter d’une sensation momentanée. Ce n’est vraiment rien de cela. Peindre n’a à voir qu’avec l’univers jusqu’à l’inconnu.

 

Puis plus loin :

 La couleur échappe. Le geste se brûle aux étoiles. Se vide… ! Mon Dieu ! Rien… L’univers est plié, mais tellement plié qu’il rencontre l’immuable. C’est ainsi, et tant de fois, qu’on s’y perd. Tellement incompréhensible ! Le temps de l’éternité est trop court ou alors l’éternité est infinie ! Où est alors l’immuable ? l’imprononçable ?

Ce jour-là, la trace et la couleur s’égarent. L’univers plonge dans le vide. Tout s’efface…

Puis… moins vingt-cinq égal plus trente-cinq… Autre énigme ? Serait-elle le moment ?

 

Comment le peintre atteint-il cet état qui lui permet "d’écouter" ce qu’on pourrait appeler les pulsations de l’univers ? Particulièrement son infinie vibration ? Et d’en rendre compte dans les couleurs, les masses, les traces, les gestes. En débordant toute rationalité. Cherchant dirait-on une raison en quête d’elle-même.

 

Une insensible folie se développant dans le décompte des couleurs, envahit le support. Plus un mot n’apaise ce bruit insensé. Les marteaux pilons défoncent des tôles d’acier, écroulent des colonnes de pierre, broient tous les repères dévastés, jusqu’à la moindre défense. Sous la pression de la machination des couleurs… Enfin s’éloignent…Tant d’insolences… jusqu’à l’indifférence.

 

P1090583abC’est par son propre corps souffrant et maintenant, détaché de ses mots. Se taisant. Oui sans les mots ! Il veut le silence ! Parce que sans celui-ci, rien n’est accessible. Trop de bruits dans cette société ! Et non ceux des couleurs. Quand le peintre enfin ouvre l’indicible de l’instant. Et trace une épreuve de l’univers.

 

La notion d’opacité, on peut la remplacer par, ou l’associer avec la notion d’inconnu qui aujourd’hui n’a jamais été aussi présente. Et interroge fortement l’humain et son aventure. Quant à la couleur, elle est en retenue au-dessus du vide.

Vivre au jour le jour. Lentement. Pour résoudre la complexité du monde et de l’humain. Multiplier les informations horizontales et se défaire, du coup, des ordres insensés imposés de force aux personnes qui tentent un autre ordre très ouvert, plus souple… parmi les dérives du jour.

 

L’ombre est toujours

à en découdre

avec la nuit

Et à chaque fois le silence ouvre sur l’aube.

 

 A chaque période les choses et les comportements évoluent en bien et en mal. En ce moment les incertitudes envahissent la vie quotidienne d’une façon plutôt forte. Des guerres se rapprochent. Les habitudes, sans le paraître, sont difficiles à tenir. Alors que peindre ? Alors que peindre… peut- être… !

Donc, actuellement, pour tenter d’en sortir avec l’art, l’expression du désordre s’impose contre toute tentative d’ordre pictural et intérieur. Soit un décor, soit un chaos en peinture. Il arrive alors que les formes soient saturées, jusqu’à l’insupportable, parce que l’artiste n’a plus rien à dire ni à faire sentir. Et sentir n’a plus rien de sensible. Sentir bavarde ! Est brutal ! Fait des histoires, incapables de dire une "légende". Observez bien ! Ce ne sont que de faux excès… Des batailles de mots venus trop tard et si abusés qu’ils ne peuvent plus rien changer d’un individu ou d’une société.  Langage trop ductile. Fin. 

 

Ainsi pour être vue par tous les pays, les films, les livres, internet, la télé… tout doit être uniforme. L’ordre de l’économie impose cet objectif. Ce qui est différent, qui écoute le monde ou qui a une âme, est condamné. L’humain est détesté. A peine un regard ! Et s’il y a progrès, c’est un progrès dans la fabrication du périmé.

Tout est saturé, lourd, étouffant… d’une façon folle (matières, techniques, émotions…) parce que sans but… qui devient d’un poids indécent jusque dans vos corps !

Quoi alors de peindre ? Quelle force faut-il au peintre, à la peinture, aux couleurs pour renverser ce monde, pour un monde léger, libre enfin… ? Illusoire tout cela ! Surtout ne pas y croire, toi le peintre. Jusqu’au jour où tu imposeras ton rêve. Quelle force faut-il pour arriver à cela ? Pour ne pas être submergé ? Alors peindre jusqu’à une rage incendiaire ! Plus aucune musique : trop engloutie. Plus aucune peinture : traversée de couleurs insensibles. C’est si facile dit ainsi. Corps stérile.

 

La colère s’apaise quand on marche : d’autres idées alors vous viennent. Parfois dans le matin, résonne une musique lointaine, si lointaine. Presque sertie de bleu.

Restent les décombres des dispositifs, les incertitudes conceptuelles… puis à la suite des séries de performances sanglantes, voire nauséabondes ce matin… parce que trop de vide ou trop de saturation.

 

Peindre aujourd’hui est fermé, retenu, acte tellement sûr de lui-même, au fond, et définitivement ! Et ce, avec des repaires insalubres, néfastes… Cela intéresse les pouvoirs, évidemment. Et pas d’aujourd’hui !

 

Qui a de l’allure dans ce monde ? Seuls les humains libres ont la vitesse pour échapper à la pesanteur du monde, certes. Ils gardent un maintien fier parce qu’ils ont entendu l’autre face de la vie. Un peintre aussi. Quand il pose sa main sur la vie, il est en relation à vitesse absolue avec l’au-delà de cette vie ! Essayez de faire le portrait d’un enfant qui vient de mourir… parce que la mère a cru que le peintre le ferait revivre… je ne peux plus !

 

En attendant, querelles autour des excréments, de la pourriture, de l'extrême violence (Vous rêvez ! Et les autres sont fous ?) … et que sais-je ? Des corps défaits.

Le peuple continue de subir. Il ne sait pas où il est. Son seul but lorsqu’il a des rêves : être calife à la place du calife ! Non ! Si… Voir les dernières nouvelles sur le monde et la société. Entre les guerres et les rêves. Une sorte d’enkystement dans un corps propre impeccable. Aux ordres ! Vous entendez : aux ordres !

Au fond, tout ce que nous ne voulons plus voir. Nous ne voulons plus voir la mort… ni la vie… Ȇtre éternel ! Voilà la dernière lubie, le dernier espoir, comme pour s'aveugler. Se consoler de tout ?... Ce qui arrive avant toute révolution : les utopies délirantes… Des fois, allez savoir ! Qui ose "allez savoir" ? Mais attention à l’homme nouveau ! Les futurs bourreaux sont déjà en place ! Corps cassés. Se méfier des ordres. Tout cela est pire que les religions, ces pouvoirs dits éternels avec leur morale et leurs oracles.

 

 « Cette nuit, nous forcerons le soleil à nous donner toute sa lumière, jusqu’à l’épuisement. Il s’enfoncera dans nos corps, si lentement, jusqu’au moment de disparaître dans une explosion de plus en plus obscure et sans fin.

Nous savons sa souffrance, mais la nôtre sera pire nous retrouvant d’un coup dans l’ombre absolue d’un univers sans horizon…

Venant de l’est, nous pousserons alors nos vaisseaux portés par le vent, jusqu’aux rochers bordant les côtes.

Armés de brûlots ils viennent détruire cette cité trop infernale pour être capable de diriger le monde…

Après cette opération, nous verrons ce monde à travers une paroi de pierre.

Avec une seule couleur nous pourrons enfin tracer la courbe de la dernière étoile de la nuit ». (Traité de l’orgasme, Anonyme,1881)

 

P1090604abAu-delà de ce moment d’euphorie, face à des progrès technologiques évidents, devraient apparaître un récit et des légendes, contre un monde sans vision. Pour aller ailleurs. Ouvrir d’autres destins. L’art a son rôle là.

Aujourd’hui qu’il soit abstrait, figuratif, décoratif, déceptif, disposant, événementiel, performant, installé… on y retrouve ce monde qui s’impose comme pour échapper à un regard lucide sur sa fin, et sur ce qu’il est. Qu’a-t-on à faire avec l’art face à l’Intelligence Artificielle ?

Dans les installations et autres agencements on retrouve j’allais dire, les « prières » de notre époque, les incantations contemporaines (réussir, dominer, posséder voire détester l’humain et son corps…) qui sont comme les équivalences de ce qu’on a déjà vu dans l’art passé rural à travers l’art religieux. Mais avec une autre visée. Corps crucifiés contre corps mutilés !

 

Reste cette idée : au-delà de tout avis, on dirait que l’art actuel expérimente une sorte d’esthétique brisée, déficiente souvent, déceptive qui n’aboutit pas, parce qu’il ne sait pas où il va, comme la société. On joue avec les nouvelles combinaisons des formes, produites par mille outils pour des spectacles momentanés, évènementiels. De là, ne sort aucune éthique qui pourrait fonder entre autres, l’art… Si l’artiste n’est pas le centre du monde, en revanche il est au centre du monde. Et il "entend" autre chose du monde.

En attendant, la propagande de la raison raisonnante n’est pas finie avec les transhumanistes et les autres flopées de nouveaux outils !  C’est par là qu’apparait le défi de l’art face à la civilisation. L’art trace une autre voie qui passe par une spiritualité ontologique mise de côté. Quid alors de société ?

 

voix

profonde

                                                                                à quelques silences

du soleil

dit l’ombre

 

Quant à l’inconnu. Il faut l’aborder comme quand on entre dans un désert. C’est nous qui le remplissons de ce que nous sommes. Aucune route n’est indiquée. L’artiste doit essayer de s’y confronter. Une seule trace sur la terre jaune. Qui la connaît ? C’est en marchand qu’on invente le chemin que nous "suivons".

 

On ne sait rien du destin de l’humain. Reste cette voix… d’au-delà d’un récit, peut-être d’une légende… qui ose ? L’art, c’est proposer autre chose au regard, comme un espoir.

Et puis il y a cette question : l’humain est-il capable ou non de poursuivre son aventure face à l’inconnu ?

 

Ce matin-là, le noir avait décidé du rouge.

                                                                                                                                                                Flayosc Eté

 

Jean Murat 08.09.2018

 

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