EXTRAITS DU JOURNAL DU PEINTRE

15 mars : Fin de la toile "Nuit des arbres / énergies".
Six mois à travailler les énergies / l'a-temps du "noir". Agencement de "rouge" et de "vert". Une énergie du "blanc".

23 mars : Course à ski de randonnées. Seul. Lente montée. Le froid. A peine l'aube. La neige et l'ombre. Quelques pentes redressées. Puis l'éblouissement au col, face à l'abîme. Avec la violence de la lumière et de l'espace. Trop de nuit d'un coup sous le sommet. Tout est immobile. Silence. Rien. Un rythme du vide...
La descente, jusqu'au passage glacé d'un couloir caché. Presque une chute. Comme un souffle. Ensuite, se déroulent les grandes pentes vives, l'enchaînement des gestes. La vitesse, le vent, dessinent une mélopée perpétuelle jusqu'au dernier virage avant d'entrée dans le bois. Les prés si verts plus bas.

27 mars : Accident.
Tout pourrait se taire.

15 avril : Vivre à corps perdu. Accepter de faire front. De ne rien dire.
Combien de fois le corps est "défait" ?
Reste encore trois ou quatre vies.

REFLEXIONS

L'art est capable de réenchanter le monde, soit lui rendre sa capacité à "déplacer" et à imaginer autrement la vie. Aujourd'hui il doit refuser l'arraisonnement de ce qui vit et existe, refuser la réalisation d'un projet mathématique de la nature.

L'art actuel est souvent déceptif quand il n'est pas dépressif. Il n'arrive pas à surmonter la barbarie contemporaine : elle le stérilise parce qu'il est fragile et trop lent.

Est-on sûr d'être capable de poursuivre l'aventure humaine face à l'inconnu ? On a le sentiment qu'on en est au même point qu'il y a quarante mille ans !

Notre monde est plein de peurs primitives que la société de consommation et les techno-sciences occultent. Ce refoulé de l'humain peut ressurgir sous la forme d'une confrontation des sociétés.

L'art réinvestit la dimension spirituelle de l'humain. Celle-ci n'est pas d'abord religieuse, ou un pouvoir. La spiritualité affirme la plus grande liberté de l'humain devant l'univers. Au contraire du social, du biologique, ou de l'émotion le soumettant à l'ordre naturel.

La bonne utilisation de la nature et le respect de l'humain sont à la base d'une éthique et d'une vision du monde. L'art en rend compte quand il n'est pas un fac-similé de la société.

L'homme est une chose terrible, redoutable parce qu'inattendue (C.Rosset).

L'œuvre d'art à son sommet devient un comprendre qui s'intensifie sans jamais se soumettre à une intention déterminée. Ainsi elle nous libère d'un signification quelconque et nous restitue l'existence ininterprétable.

UN MOMENT

Sous un porche mal éclairé, des jeunes désœuvrés traînent et fument un joint. Au-delà de la rue, des architectures interchangeables occupent l'espace nocturne où seules des marques de sportwear, criardes de néon, habitent le vide.
A l’arrêt du bus un vieux sans cheveux, appuyé contre le poteau, pleure. Là-haut sur la colline, des gens ne savent plus quoi accumuler, jusqu’à l’ennui. Une femme crie brièvement. Plus loin, rien. Est-ce la nuit ?

J-A. Murat (novembre 2006)